La
vulnérabilité des gens m’avait toujours affectée de façon malsaine. Parce que
c’était, pour moi, l’occasion de me faire accepter en soutenant quiconque
l’exhibant. Toutefois, au fur et à mesure que je me retirai de la masse des
gens, elle me rebutait puisque elle représentait, dorénavant, l’image dissociée
de mes relations interpersonnelles. Aujourd’hui, elle est l’ombre qui n’a le
choix que de s’attacher à mon égo. L’impulsion de lui tendre la main ne
disparait pas mais la crainte d’en être le reflet est plus importante.
Puisque je
cherchais à l’éviter, le sort sournois s’est mis à manigancer avec la destinée
en me la balançant continuellement au visage.
Ou, encore, je n’ai pas vraiment fait attention à mon choix de
profession.
Quoi qu’il en
soit, c’est un personnage rigidement robotique et inconfortable qui a dû cogner
à la porte du foyer pour personnes âgées ayant un statut de démence. J’espérais que la porte ne s’ouvrirait jamais
ou que la terre arrête soudainement de tourner. Bien sûr, mes prières ne
furent, encore une fois, pas entendues. Une dame trop radieuse vint nous ouvrir
l’antre de mes anxiétés. J’essayais
de raser les murs en me murmurant
maintes une fois de ne pas considérer qui ou quoi que ce soit. Si on nous dit
de ne pas penser à quelque chose en particulier
on est porté à la visualiser instinctivement. Cela doit être pareil
quand on espère éviter une situation car celle-ci accoure alors qu’on n’a même
pas finit d’y songer.
Une patiente
nous observe depuis un moment et rôde autour de nous comme le loup le fait
autour de sa proie. Elle tient quelque chose dans les mains, mais difficile de
le distinguer d’ici. J’essaye de fixer mon attention ailleurs car tout ce que
mon esprit en alerte parvient à m’envoyer c’est : VA LUI DIRE BONJOUR. C’est
ça; pour que je retombe dans ma dépendance émotionnelle en moins de 3 secondes.
Quoi que je fasse, mon regard ne peut s’empêcher de rencontrer le sien et elle
se décide finalement à attaquer. Je fais mine de trouver fascinante l’affiche
sur "les 4 saisons". C’est hélas trop tard car elle a déjà fait son entrée dans
notre groupe et me fixe avec un sourire niais. Je n’ai même pas le temps de
répondre à sa grimace qu’elle sort l’objet in-identifié de sa poche et nous
fait signe de nous rapprocher. Terrifiées, mes collègues me supplient du regard.
S’il existait un regard qui pouvait leur dire que mon instabilité psychologique
est incomparable à leur panique superficielle je n’aurais même pas eu le temps
de réfléchir avant de l’exposer.
Encore une
fois, elle ne nous laisse pas le temps de réagir à la situation car elle nous
met un objet de forme soupçonneuse sous les yeux et ricane entre-temps. Les
autres commencent à afficher des sourires figées alors que j’essaye encore de
saisir. Ce n’est que lorsqu’elle réussit à émettre "c’est une queue croche" entre ses gloussements incessant que je comprends enfin. C’était tellement
déplacé et inapproprié que je n’ai pas pu me contenir. Je ne sais pas si on le
doit à mon immaturité, à la situation
équivoque ou la combinaison des deux mais les éclats de rire collectifs
qui s’ensuivirent auraient pu faire trembler la mansion et seront, dans mon
cas, mémorables.
Le plus beau
visage était celui de la patiente, car son rire sonnait si innocent que dans
d’autres circonstances j’aurais trouvé cela triste. Par contre, à ce
moment-là, j’aurais franchement voulu
être à sa place. Son insouciance était palpable et inimitable.
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