J’ai lu un livre qui
disait que la seule façon qu’un enfant puisse devenir adulte était de se
révolter contre ses parents. J’avais deux raisons de nier l’absurdité de ces
propos, la première étant que c’était la seule phrase du livre qui avait frôlée
mon attention au milieu des piètres mièvreries qui me faisait penser que n’importe
qui, vraiment, pouvait publier de nos jours. La seconde raison me renvoyait à
tous les éclats que j’avais provoqués pour seul objectif l’obtention mon indépendance
qui, au final, ne sera certainement pas mon billet au monde austère.
Pourtant les mots ne veulent pas s’effacer comme si un
insouciant s’était amusé à signer un graffiti inculte sur ma mémoire. Chercher
les raisons que l’orgueil ne veut pas comprendre c’est un peu comme se faire
piquer par l’aiguille dans la botte de foin. L’ironie fait que le doute, dans
toute son opacité, jaillit des tréfonds de l’âme, comme une embuche ostensible.
Alors, la question se pose, sans s’émouvoir du tressaillement orgueilleux :
est-ce que j’ai vraiment révoqué l’emprise parentale?
Bizarrement, je n’ai jamais eu une bonne relation avec
mes parents. Alors que je claquais encore mes sandales en plastique contre mes
talons, et par instance, dès que j’ai su la ruse du mensonge, je m’empressais
de l’appliquer sur eux sans remords. Et cela n’a jamais cessé jusqu’aujourd’hui
d’ailleurs. Mais bon, qui a une relation stable avec ses géniteurs de nos jours
hein? Alors pourquoi étrange? Parce qu’ils n’étaient pas nécessairement la
raison de mes colères incongrues et pourtant ils se devaient de récolter
quelques fracas de mes émois sans comprendre.
Au final, ce n’est que lorsque j’ai réussi à prendre de la distance et
du recul, que je développais une réelle exacerbation pour eux seuls.
Quand bien même, chaque été, pour quelques jours je me
retrouve face à eux et c’est si dure de communiquer. Dieu merci, ma mère parle
pour 6 personnes et mon père s’enflamme à n’importe quel sujet. Habituellement,
je me contente d’esquisser ou de mimer quelques expressions et les heures
finissent par s’écouler tant que le protagoniste du sujet, ce n’est pas moi.
Toutefois, il arrive, certaines fois, que personne ne dit mot et je sais alors
que ce ne sera pas très long avant que je ne devienne le centre du sujet. Parce
que lorsqu’un parent n’a plus rien à raconter; il parle de ses enfants. Triste
sort. Alors dans mon élan de panique, je lance la première chose légale à
laquelle je pense.
-Ah… J’ai vu une vidéo…
Ma mère me regarde comme si elle venait de remarquer
ma présence. D’un moment à l’autre je crains qu’elle me demande carrément
depuis quand je suis revenue. Elle ne le fait pas alors je sais que je dois
poursuivre maintenant que l’attention est sur moi.
-Euh… Dans cette vidéo, j’ai vu des touristes jeter
des pièces lors d’un certain tournoi et des enfants en piètre état s’empressaient
de les ramasser…
Mon père met sa main sous son menton; je sais alors qu’il
me prête vraiment attention et qu’il essaye de voir où je veux en venir, ce qui
me rend encore plus rigide. Ma mère qui a tendance à s’impatienter rapidement
me jette un « et alors » du regard.
-Ben ces touristes rigolaient et s’amusaient à jeter l’argent
pour pouvoir se moquer des enfants qui les prenaient du sol. Les gens locaux
regardaient sans rien faire alors qu’il y avait foule.
Ma mère hoche la tête pour désapprouver et pendant un
instant je crois que c’est mon choix de sujet qu’elle blâme mais je l’entends
demander :
-Et leurs parents?
Moi : Hein?
Père : Ils étaient où les parents de ces enfants?
Moi : Euh… Je sais pas… J’ai pas vraiment fait
attention…
Mère : C’est surement leurs parents qui leur ont
appris à mendier comme ça.
Moi : Je pense pas que ce soit le problème…
Mère : Oui, c’est pas de leur faute, c’est leur
éducation qui est à reprocher.
Père : Ces pauvres enfants… Tu vois, comment
certains vivent et toi tu te plains de partager une chambre!
Moi : Non mais là n’est pas la question… Vous ne
voyez pas que c’est les touristes le problème? Et les gens qui font rien? C’est
normal vous pensez de reprocher à des enfants, probablement affamés de ramasser
de l’argent et d’ignorer que des gens s’amusent à les rabaisser ?
Père : On sait ça, mais les gens malfaisants y’en
a partout, c’est pas nouveau. Mais peu importe la situation les parents doivent
apprendre les bonnes valeurs à leurs enfants et éviter qu’ils arrivent à cette
situation.
Mère : D’ailleurs, si les enfants ramassaient les
pièces comme ça, c’est qu’ils ont vu leurs parents faire la même chose.
Père : C’est peut-être même les parents qui ont
envoyé leurs enfants.
Moi : Hahaha
Mère : Tu trouves ça drôle? Tu devrais être plus reconnaissante
pour ce que tu as. Après tout, tu n’as jamais été obligée de mendier à ce que
je sache.
Elle me regarde d’un regard douteux comme si ça
pouvait être une possibilité.
Père : Tu vois pourquoi on insiste sur vos
études? Pour que vous évitiez ce genre de situation même quand on sera plus là.
Moi : Oui oui vous avez raison. De toute façon, vous avez toujours raison non?
J’ai tout d’un coup envie de remballer ma valise et de
déguerpir aussi vite que possible.
Mère : T’inquiètes pas. Tu vas regretter quand on
sera plus là et tu penseras : si seulement je les avais écoutés.
Père : Laisse tomber. Pourquoi tu t’énerves, tu
sais qu’elle est la plus têtue et qu’elle n’écoute jamais rien.
Mère : Oui et regarde où elle en est…
Trop fatiguée pour continuer une discussion de sourds
et muets je m’empresse de quitter la table en les laissant fabuler sur leur
sujet favori.
…
Parfois, quand je vois mes collègues envoyer des SMS,
photos, vidéos à leur famille, je me surprends à les envier. C’est leurs
relations que je jalouse. À défaut d’avoir qui que ce soit pour partager
quelque chose qu’on trouve d’intéressant, la famille, c’est normalement celle
qui devrait le moins juger non? Dans mon cas, oublions le jugement, c’est la
troisième guerre mondiale que je déclenche. Le milieu familial dans lequel on
est élevé affecte jusqu’à un certain degré notre façon de réagir au monde. C’est
en vieillissant que je me suis rendue compte que la bienveillance de mes
parents qui, certes, soyons honnêtes, ne voulait que mon bien, avait ancrée en
moi la phobie du tout. Ils m’avaient fait croire qu’ils étaient ma seule
protection. Suite à des circonstances exponentielles et inextricables, il se
trouve, malheureusement, que la seule et unique source de confort et de soutien,
à laquelle j’ai eu droit au court de mes 2 premières décennies ne provenait que
d’eux. Inconsciemment, je les ai crus. Jusqu’au jour où j’ai compris que je
pouvais être seule sans trépasser piteusement comme ce singe que j’avais vu
dans un reportage qui mourrait de
mélancolie et de solitude à la suite de la mort de son bébé.
Enfin bref, mon point étant que j’ai grandi dans ce
milieu, où il est normal de ne pas voir le point central d’un sujet, ou pire,
de l’ignorer pour lui donner, sans raisonnement, un sens superficiel dans le
seul but de manipuler son enfant.
Dans tous les cas, j’ai eu l’impression de donner un
pistolet chargé à un enfant de 2 ans; je voulais qu’il vise une cible précise
mais, s’en contrefichant, il le pointe vers la seule chose qui lui est
familière. L’expression « Quand le sage désigne la Lune, l'idiot regarde le
doigt » ne pouvait mieux décrire une situation déplorablement pathétique. Se révolter contre ses parents? Là n’est plus la question. Se détacher concisément de l’influence
et de la manipulation émotive est beaucoup plus prioritaire car elle est la pire des emprises dans n'importe quelle relation.
Alors, parce que je ne me sens pas mieux, je me suis
dit que tous ces gens qui n’ont pas réagi à la situation précédente et qui se
contentaient de regarder, rire et filmer; ah eux aussi ils ont eu une vie
misérable. Parce qu’il faut sacrément être déshérité et pitoyable pour être les
touristes qui s’amusent du malheur des autres mais pour les ignorer sans rien articuler
c’est être ignominieux. Parce que cette sorte d’incapacité abjecte normalise
les actes de la société les plus pernicieux.
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