samedi 16 janvier 2016

Des choses difficiles à comprendre




J'ai horreur de recevoir les enfants ; ils sont toujours si agités et difficiles à contrôler émotionnellement. Et leur regard qui se fixe sur tout et n’importe quoi…Toujours si perçant et curieux alors j’ai beaucoup de mal à le soutenir.
La porte vole en éclat et envoit valser les quelques feuilles du bureau sur le sol :
-Je t’apporte les sucreries. En général ça les rend plus dociles.
-Le sucre les rend encore plus excités…
Elle hausse les épaules, dépose le bol au coin de la table et ressort avec le même fracas. Si bruyante…Combien de fois je dois lui dire que sa grossièreté risquerait de nous causer des ennuis avec les voisins ?
Un grincement me sort de mes pensées. Une petite tête apparaît dans l’embrasure de la porte et me laisse à peine le temps de composer mon masque professionnel :
-Entre mon cœur, n’aie pas peur.
Mon semblant de sourire a dû fonctionner car elle se précipite dans la salle et s’empresse de grimper sur le fauteuil.
-Ta maman n’est pas avec toi ?
-Oh, elle ne viendra pas.
-Elle ne vient pas… ? Et tu es venue toute seule ?
-Oui, je voulais discuter avec vous !
Elle sourit gaiement et je peux voir qu’il lui manque quelques dents. Un sentiment de malaise s’installe en moi ; d’où sort cette enfant et pourquoi diable ses procréateurs inconscients ne peuvent-ils pas superviser leur propre progéniture? Ils ont dû penser que l’heure de consultation de leur fille était leur repos bien mérité. Avec ce genre de parents il y’a une grande possibilité que cette enfant se fasse kidnapper ou développe un désordre mental. C’est peut-être même déjà en court puisque ils ont jugé bon de l’envoyer ici. Elle interrompt encore une fois mes pensées de sa voix gazouillante:
-Est-ce que les bonbons sont pour moi ? Je peux en avoir un s’il vous plait ?
J’hésite un instant; lui accorder de manger le sucre est aussi désavantageux pour moi que pour ses dents.
-Et les caries alors ? Tu veux avoir des trous dans tes jolies petites dents ?
-C’est pas grave, elles sont en train de tomber de toute façon.
 Ah, ce regard persistent que je déteste chez eux. Je lui tends le bol.
-Bon. De quoi voulais-tu me parler trésor ?
Elle prend le temps de délicatement déballer son bonbon le lèche à quelques reprises et penche sa minuscule tête sur un côté comme pour me démontrer qu’elle y pense.
-Des choses difficiles à comprendre.
Pendant un bref moment, j’ai un brin de sympathie pour cette fillette étrange ; elle ne doit pas avoir beaucoup d’attention. La preuve en est que ses parents ne daignent même pas présenter le bout de leur nez au rendez-vous.
-Je t’écoute mon cœur. Tu peux tout me raconter.
Ses yeux brillent, elle ne peut contenir son rire glorieux et je ne peux m’empêcher de me sentir piégée.
-Merci de me donner cette opportunité. C’est que je n’ai pas beaucoup de gens à qui poser mes questions. Et puis, même quand je le fais personne ne comprend réellement. Par quoi est-ce que je peux commencer ? Ah. Essayons d’aller dans l’ordre des choses. La plus part des gens pensent qu’en remontant à l’enfance ils peuvent mieux se comprendre alors ils viennent vous voir. En réalité, souvent, l’origine est en face de nous, mais c’est tellement simple et superficielle qu’on ne le voit pas. Alors ces idiots consument des heures, des années à épuiser leur énergie sur tout ce qui éloigne de la vérité. Jouer, étudier, travailler, dépenser. En somme, s’adonner à n’importe quel moyen pour se sentir vivant. Oh ? Vous n’avez pas l’air bien. Vous voulez un bonbon ? Ça donne de l’énergie.
Apparemment je n’ai pu contenir mon expression jusqu’au bout. Qu’est-il arrivé à cet enfant ? Maltraitance parental ? Événements tragiques ? Mutations génétiques ? Calme-toi. Calme-toi. Essayons de raisonner clairement, cette enfant présente vraisemblablement des signes du trouble de dépersonnalisation. Il est également possible qu’elle ait développé une dissociation de son identité.
-Hum, trésor, est-ce que quelqu’un t’a fait du mal ? Est-ce que tu aimerais me raconter ce qui s’est passé ?
-C’est ce que j’essaye de faire. Je disais que la source principale des maux psychologiques développés est causée par les parents. Je vois ces pères nourrir leur enfant de leurs propres illusions à la grosse cuillère alors que j’ose à peine me sustenter des gouttes de la rationalisation.
Comme je le pensais, cette enfant a subi un abus parental du père, cela va de soit dans ces circonstances. Je hoche la tête pour l'’encourager à poursuivre. Elle sourit :
-Mais vous savez, le pire je pense que c’est l’instinct maternel. Le nourrisson puise l’essence de la peur à même le sein et ne peut s’en départir jusqu’au dernier souffle. Vous comprenez ? Le lien ombilical ne se rompra jamais.
La mère est probablement impliquée… Elle doit être au courant ou a dû déceler le changement et l’a donc envoyé ici. Tentant de rentrer dans son jeu je ne peux m’empêcher de répliquer :
-Ta maman voulait surement te protéger.
-C’est exactement cela. Les mères ont la pire des emprises sur un enfant parce qu’elles couvent leurs progénitures à en crever ou encore elles abandonnent complétement leur rôle. Elles n’arrivent jamais à se modérer mais vogue d’un extrême à l’autre. Vous devez surement le constater non ? Plus un enfant est craintif, troublé ou (elle me sourit) psychotique, il y a toujours un lien direct ou indirect avec la mère. Le comprendre n’est pas chose difficile mais l’accepter est certainement horriblement humiliant. Pas pour l’enfant non, mais pour le jeune adulte gonflé de préciosités et fier de son indépendance il préférerait mourir plutôt que de l’admettre.
 Même si sa personnalité est dissociée, cette petite fille n’exprime ni haine ni violence. Au contraire elle tient un discours qui lui semble cohérent et n’exprime pas de point de vue personnel. Elle présente objectivement des faits qu’elle croit avoir elle-même observés. Schizophrénie ? Quoi qu’il en soit, c’est une chance de l’avoir trouvé avant qu’elle ne se développe davantage. Elle aurait pu être un véritable danger public. Elle m’observe silencieusement. Inconfortable. Je préfère encore lorsqu’elle parle :
-Qu’est-ce qui arriverait si l’enfant admettait que ses parents sont à l’origine de son malheur ?
-Vous ne m’écoutez pas. Je vous dis qu’il mourra.
-Mais pas tout le monde n’a le courage de mourir par lui-même… Et puis est-ce si horrible que cela ?
-Vous êtes douée lorsqu’il s’agit de vous inquiéter et vos solutions impliquent toujours  la fuite, mais en réalité vous êtes incapables d’analyser quoi que ce soit. Mais c’est normal. C’est dans votre nature. C’est exactement la cause du problème.
-Je ne comprends pas…Quelle nature précisément ? Humaine ? Et en quoi je nuirais ?
-Vous êtes ce que les parents lèguent aux enfants. Vous armez déplorablement l’ignorance. Vous êtes ce qui nourrit la haine et la violence des sociétés.  Vous croyez avoir des capacités humaines parce que vous êtes en mesure de formuler des pensées. En réalité, vous n’existez pas.
-Pardon… ?
-Je n’existe pas non plus. Toute cette scène n’est pas réelle. Nous ne sommes que des idées incarnées: des personnages fictifs. C’est difficile d’accepter que tout ceci se passe dans la tête d’une personne. Vous ne voulez pas plutôt savoir qui vous êtes ?

-Je suis payée pour t'écouter.


-Vous êtes la pâleur  sur les visages qui voient leur mort, le tremblement de la main qui serre la réalité, la goutte sur le front qui porte la vérité et l'affaiblissement des genoux qui ont soulevé l'iniquité sociale. Vous incarnez l'idée la plus farfelue et pourtant vous êtes l'arme autodestructrice humaine la plus active: La peur.


-Ah, j'ai bien peur que la session soit terminée pour aujourd'hui. Nous résumerons la semaine prochaine en présence de tes tuteurs.


-Certes...en attendant, je ne peux être que la pensée immature qui raisonne la peur 1 heure par semaine.

26 juillet 2013



J`aime à penser que comme on peut être son pire oppresseur, on peut d`autant être son propre réconfort. Oui, on nait dans la terreur pour mourir dans la solitude. D`un état à l`autre, on se retrouve face à soi, à ses choix, à ce qu`ils impliquent… Dès lors, on a toujours une responsabilité vis-à-vis de ce que l`on est, de ce que l`on pense être et de ce que l`on devrait être.
 
L`extérieur n`est qu`une forme de secours éphémère qui trop souvent conforte dans l`illusion d`un bien être probatoire. S`attacher à la béquille nous fait croire que l`usage de la jambe n`est plus requis. Ainsi, on se leurre; puisque nous avançons toujours, on oublie la blessure. Ce bonheur abstrait réconforte l`insouciance. Quant à la douleur, toujours présente, elle se retrouve refoulée jusqu`au jour où le support finit par s`user. Son ombre, une promesse malfaisante, guette et traque le moindre sourire. Et quand ce jour arrive,  la souffrance délaissée, se métamorphose orgueilleusement en agonie. Tomber, n`est que l`esquisse d`une éventuelle fin; car le pire se trouve à être dans l`atterrissage inattendu.
Et s`adresse au sol qu`une seule question : comment avancer alors que le fondement même du mouvement naturel a été réprimé?  La plupart d`entre vous, essayerez d`agripper le premier pilier qui croisera votre chemin, et ainsi d`une main à une autre vous aurez l`impression d`avoir parcouru la destinée.

Quant à d`autres, qui brisés et trahis n`éprouveront que mépris et méfiance à l`égard de l`extérieur. De ceux-là, certains n`arriveront jamais à se relever; ou  s`ils le font; se retourneront sur eux même sans réussir à mettre un pied devant l`autre. Les derniers, comprendront que l`usage ne revient que par la volonté de soi-même; et en s`explorant ils redécouvrent ce qu`ils avaient perdus ainsi que ce qu`ils cherchaient farouchement. Du platonisme au nihilisme c`est la devise qui met en marche les rouages de la raison : connais-toi et dès lors tu sauras.


Chacun le sait proprement tout en le craignant; le désespoir, la dépression, la névrose naissent de soi et ce n`est pas à coup de pilules qu`on peut retrouver le sourire de la victoire. Avoir peur de l`admettre parce que cela nous renvoit à la nature solitaire de l`humain est naturel mais cela ne l`efface pas : on est seul à pouvoir se réconforter et trouver son Bonheur.