mardi 15 mai 2012

"Docteur, j`ai un problème."

Hôpital du Sacré Coeur, de Montréal

Les hôpitaux, ces grands bâtiments décrépis à l`allure glauque, inspire dans l`ensemble des sentiments angoissants et perturbants si ce n`est terrifiants. Pourtant l`architecture de ces bâtisses est, dans la plupart des cas, franchement admirable et agréable aux yeux caverneux des citoyens veules acclimatés, très souvent, aux bureaux cubiques assortis aux établissements rectilignes qui les superposent adroitement. C`est pourquoi, les murs érodés de l`hôpital animent, astucieusement, une certaine sagacité froide et vieillit qui arrive presque à nous détourner des symptômes cadavériques qui nous conduisent en ces lieux, dits lugubres et repoussants. Cependant, une fois à l`intérieur de la méga-cellule bouillante d`activités biologiques, le charme du prestige extérieur se rompt presque instantanément. L`évocation du choc et du trouble profond de Don Elvire lorsqu`elle découvre l`insidieuse personne qu`elle avait pour mari ne pourrait mieux exprimer la duperie des poutres ténues ornés de gravures romanesques ainsi que des tours anachroniques calquées sur des prestigieux châteaux français. L`une des premières caractéristiques de ces œuvres torturantes, et non la moindre, celle qui fouette toute personne dotée de voies nasales, est cette odeur particulière, pour ne pas dire nauséabonde, qui paraît se dégager par toutes les parcelles de l`hôpital. Un mélange, de peur ou d`effroi, d`efforts, d`anesthésiants et de substances organiques dégradants  nous sont insufflés, stoïquement, de sorte que la gorge et les yeux soient assez irrités. L`avantage? Les gémissements deviennent de faibles râles et la vision trouble empêche nos yeux de capter des images telles les intestins à découvert de cette bonne-femme ou ce monsieur qui recrache ses poumons… Représentations dont l`inconscient ou le psychique se passerait bien mais que nous soumettons nous-même à coup de films/séries comme La poupée Chucky, ou Dr. House. On se surprendrait même à souhaiter voir une véritable boucherie dans un vrai hôpital.

Alors que l`attente dans cette salle, qui sera l`habitacle de nos pensées solitaires pour, disons-le, toute la nuit ou la journée qui suit, débute tout juste, l`envie de détaler au pas de course s`insère tranquillement dans l`esprit à la vue de ce raz de gens souffrants. Ainsi, s`ensuit la première étape : l`enregistrement étant, bien entendu, fait par une dame d`âge mûr à demi-sourde qui crient vos renseignements qui ne sont, dès lors, aucunement personnels :

 -VOUS HABITEZ BIEN AU XXX?
-Heu… Oui.
-VOTRE NUMÉRO DE TÉLÉPHONE C`EST ENCORE XXX-XXXX?
- Oui.
-ET VOUS VOULEZ VOIR UN MÉDECIN?
-Si possible, oui.

-QUOI? UNE CIBLE?
-Non…

-ALORS VOUS VOULEZ SEULEMENT CONSULTER L`INFIRMIÈRE?
-Non mais je veux voir un médecin aussi, si c`est POSSIBLE.
-VOUS NE VOULEZ PAS VOIR L`INFIRMIÈRE? PARLEZ PLUS FORT MA PETITE; JE NE VOUS ENTENDS PAS.
Ah bon?

 -JE VEUX VOIR UN MÉDECIN!
-DOUCEMENT MA PETITE JE NE SUIS PAS SOURDE. IL FAUDRA ATTENDRE, IL Y`A DES GENS AVANT VOUS, VOUS SAVEZ?

Sous les regards réprobateurs des gens-avant-vous-vous-savez, vous choisissez bien sûr le siège du fond, celui qui fait face aux cabinets des médecins, pour être certain de ne pas manquer l`appel de votre nom et ainsi clore l`identité de paranoïa dont on vous a affublé depuis peu. Débute alors la chose la plus naturelle que l`on puisse faire dans une salle d`attente, non non pas l`attente en soi ou le dénombrement des punaises sur le tableau d`affichage; ça c`est après, mais plutôt l`observation et la stigmatisation des congénères qui vous accompagnent lors de ce périple.

 En premier, vous recherchez les plus souffrants; ceux que l`on passera avant vous, de un pour les maudire d`être venus le jour ou vous-même vous êtes moindrement malades et de deux pour déguster la souffrance peinte sur leur visage creux. Cette douleur magnifiquement représentée par des traits tirés vers le bas : un front plissé, formant des vaguelettes, comme s`il voulait glisser jusqu`au menton, des sourcils froncés dessinant une ridule entre l`axe symétrique du visage en but de s`associer vainement, un nez retroussé qui tente de camoufler la pureté du sentiment et finalement des lèvres boudeuses soudées l`une contre l`autre rageusement ou bien remuant silencieusement; mimant des prières oubliées. Vous dévisagez également les autres; ceux que vous espérez laisser derrière vous… Au début, ce n`est qu`une masse de gens indissociés n`ayant en commun pourtant qu`une chose : un besoin d`être soigné. Avant même que vous ne puissiez distinguer les visages à part entière, vous entendez votre nom saccagé par une voix de ténor. Une infirmière à l`allure sévère scrute les patients pour ensuite jeter un coup d`œil au dossier qu`elle tient comme si, par les quelques lignes médicales écrites dedans, elle pouvait deviner le visage de celui auxquelles elles correspondent. Vous vous levez précipitamment, comme si la porte qu`elle vous tient ouverte, une fois qu`elle vous a repéré, risque de se refermer à jamais. Évidemment quand elle vous demande la raison de votre présence aux urgences; vous en avez oubliez vous-même les causes… Après une quinzaine de secondes silencieuses qui vous rappelle vaguement les première minutes de l`oral blanc, les données reviennent peu à peu et bientôt vous inondez l`infirmière de symptômes qui sont pour la plupart amplifiés et même inventés. Après qu`elle vous ait meurtrit le bras à l`aide de son instrument tortionnaire pour, soit disant, « prendre la pression » et qu`elle ait prit la température pour s`assurer que le médecin ne remarque pas son sadisme elle vous renvoit illico attendre ce dernier dans l`étable avec les autres bovins.

 Conscient que la véritable attente commence maintenant, vous resserrez votre sac tentant d`en faire un semblant d`oreiller confortable. Sachant pertinemment que Morphée se risque rarement à pénétrer dans les médiocres hôpitaux publics, vous renoncer donc rapidement au sommeil souhaité. Votre étude sur l`être humain en milieu hospitalier peut donc se poursuivre en toute tranquillité. Au-delà de la masse, des visages commencent à se distinguer. Il y`a ce papy, au teint fantomatique, qui lance des regards perçants à la télévision suspendu au-dessus de lui, comme si le mince filet de dicibles qui s`en échappent venaient écorcher vivement ses tympans, une dame à moitié endormi menton appuyé sur la graisse de son cou à la respiration sifflotante, une mère le regard au loin mélancolique, berçant un ramassis de couverture roulées en boule dans une poussette grinçante, ce qui semblait, au premier abord, être un géant à deux têtes, n`est en fait qu`un couple-représentant ultime des organismes unicellulaires-, une autre mère aux traits angoissés récitant à sa progéniture les symptômes maladifs que celle-ci doit répéter ensuite au médecin… En somme, chaque visage dépeint l`être qu`il porte et vous transmet tout un tas d`éléments qui seront au final bien vaines pour vous, une fois que vous quitterez l`endroit. Inutiles en cet instant même, puisque aucune intention caritative n`habite un malade farouche.

 Quand les visages ne sont plus assez divertissants, c`est les affiches qui finissent par attirer l`attention. Et les affiches des hôpitaux, c`est tout un art.


À suivre...