J'ai horreur de recevoir les enfants ; ils sont toujours si agités et difficiles à contrôler émotionnellement. Et leur regard qui se fixe sur tout et n’importe quoi…Toujours si perçant et curieux alors j’ai beaucoup de mal à le soutenir.
La
porte vole en éclat et envoit valser les quelques feuilles du bureau sur le
sol :
-Je
t’apporte les sucreries. En général ça les rend plus dociles.
-Le
sucre les rend encore plus excités…
Elle
hausse les épaules, dépose le bol au coin de la table et ressort avec le même
fracas. Si bruyante…Combien de fois je dois lui dire que sa grossièreté
risquerait de nous causer des ennuis avec les voisins ?
Un
grincement me sort de mes pensées. Une petite tête apparaît dans l’embrasure de
la porte et me laisse à peine le temps de composer mon masque professionnel :
-Entre
mon cœur, n’aie pas peur.
Mon
semblant de sourire a dû fonctionner car elle se précipite dans la salle et s’empresse
de grimper sur le fauteuil.
-Ta
maman n’est pas avec toi ?
-Oh,
elle ne viendra pas.
-Elle
ne vient pas… ? Et tu es venue toute seule ?
-Oui,
je voulais discuter avec vous !
Elle
sourit gaiement et je peux voir qu’il lui manque quelques dents. Un sentiment
de malaise s’installe en moi ; d’où sort cette enfant et pourquoi diable
ses procréateurs inconscients ne peuvent-ils pas superviser leur propre progéniture?
Ils ont dû penser que l’heure de consultation de leur fille était leur repos
bien mérité. Avec ce genre de parents il y’a une grande possibilité que cette
enfant se fasse kidnapper ou développe un désordre mental. C’est peut-être même
déjà en court puisque ils ont jugé bon de l’envoyer ici. Elle interrompt encore
une fois mes pensées de sa voix gazouillante:
-Est-ce
que les bonbons sont pour moi ? Je peux en avoir un s’il vous plait ?
J’hésite
un instant; lui accorder de manger le sucre est aussi désavantageux pour moi que
pour ses dents.
-Et
les caries alors ? Tu veux avoir des trous dans tes jolies petites dents ?
-C’est
pas grave, elles sont en train de tomber de toute façon.
Ah, ce regard persistent que je déteste chez
eux. Je lui tends le bol.
-Bon.
De quoi voulais-tu me parler trésor ?
Elle
prend le temps de délicatement déballer son bonbon le lèche à quelques reprises
et penche sa minuscule tête sur un côté comme pour me démontrer qu’elle y pense.
-Des
choses difficiles à comprendre.
Pendant
un bref moment, j’ai un brin de sympathie pour cette fillette étrange ;
elle ne doit pas avoir beaucoup d’attention. La preuve en est que ses parents
ne daignent même pas présenter le bout de leur nez au rendez-vous.
-Je
t’écoute mon cœur. Tu peux tout me raconter.
Ses
yeux brillent, elle ne peut contenir son rire glorieux et je ne peux m’empêcher
de me sentir piégée.
-Merci
de me donner cette opportunité. C’est que je n’ai pas beaucoup de gens à qui
poser mes questions. Et puis, même quand je le fais personne ne comprend
réellement. Par quoi est-ce que je peux commencer ? Ah. Essayons d’aller
dans l’ordre des choses. La plus part des gens pensent qu’en remontant à l’enfance
ils peuvent mieux se comprendre alors ils viennent vous voir. En réalité,
souvent, l’origine est en face de nous, mais c’est tellement simple et
superficielle qu’on ne le voit pas. Alors ces idiots consument des heures, des
années à épuiser leur énergie sur tout ce qui éloigne de la vérité. Jouer,
étudier, travailler, dépenser. En somme, s’adonner à n’importe quel moyen pour
se sentir vivant. Oh ? Vous n’avez pas l’air bien. Vous voulez un bonbon ?
Ça donne de l’énergie.
Apparemment
je n’ai pu contenir mon expression jusqu’au bout. Qu’est-il arrivé à cet enfant ?
Maltraitance parental ? Événements tragiques ? Mutations génétiques ?
Calme-toi. Calme-toi. Essayons de raisonner clairement, cette enfant présente
vraisemblablement des signes du trouble de dépersonnalisation. Il est également
possible qu’elle ait développé une dissociation de son identité.
-Hum,
trésor, est-ce que quelqu’un t’a fait du mal ? Est-ce que tu aimerais me
raconter ce qui s’est passé ?
-C’est
ce que j’essaye de faire. Je disais que la source principale des maux psychologiques
développés est causée par les parents. Je vois ces pères nourrir leur enfant de
leurs propres illusions à la grosse cuillère alors que j’ose à peine me sustenter
des gouttes de la rationalisation.
Comme
je le pensais, cette enfant a subi un abus parental du père, cela va de soit
dans ces circonstances. Je hoche la tête pour l'’encourager à poursuivre. Elle
sourit :
-Mais
vous savez, le pire je pense que c’est l’instinct maternel. Le nourrisson puise
l’essence de la peur à même le sein et ne peut s’en départir jusqu’au dernier
souffle. Vous comprenez ? Le lien ombilical ne se rompra jamais.
La
mère est probablement impliquée… Elle doit être au courant ou a dû déceler le
changement et l’a donc envoyé ici. Tentant de rentrer dans son jeu je ne peux m’empêcher
de répliquer :
-Ta
maman voulait surement te protéger.
-C’est
exactement cela. Les mères ont la pire des emprises sur un enfant parce qu’elles
couvent leurs progénitures à en crever ou encore elles abandonnent complétement
leur rôle. Elles n’arrivent jamais à se modérer mais vogue d’un extrême à l’autre.
Vous devez surement le constater non ? Plus un enfant est craintif,
troublé ou (elle me sourit) psychotique, il y a toujours un lien direct ou
indirect avec la mère. Le comprendre n’est pas chose difficile mais l’accepter
est certainement horriblement humiliant. Pas pour l’enfant non, mais pour le
jeune adulte gonflé de préciosités et fier de son indépendance il préférerait
mourir plutôt que de l’admettre.
Même si sa personnalité est dissociée, cette petite
fille n’exprime ni haine ni violence. Au contraire elle tient un discours qui
lui semble cohérent et n’exprime pas de point de vue personnel. Elle présente
objectivement des faits qu’elle croit avoir elle-même observés. Schizophrénie ?
Quoi qu’il en soit, c’est une chance de l’avoir trouvé avant qu’elle ne se
développe davantage. Elle aurait pu être un véritable danger public. Elle m’observe
silencieusement. Inconfortable. Je préfère encore lorsqu’elle parle :
-Qu’est-ce
qui arriverait si l’enfant admettait que ses parents sont à l’origine de son
malheur ?
-Vous
ne m’écoutez pas. Je vous dis qu’il mourra.
-Mais
pas tout le monde n’a le courage de mourir par lui-même… Et puis est-ce si
horrible que cela ?
-Vous
êtes douée lorsqu’il s’agit de vous inquiéter et vos solutions impliquent
toujours la fuite, mais en réalité vous
êtes incapables d’analyser quoi que ce soit. Mais c’est normal. C’est dans
votre nature. C’est exactement la cause du problème.
-Je
ne comprends pas…Quelle nature précisément ? Humaine ? Et en quoi je
nuirais ?
-Vous
êtes ce que les parents lèguent aux enfants. Vous armez déplorablement l’ignorance.
Vous êtes ce qui nourrit la haine et la violence des sociétés. Vous croyez avoir des capacités humaines parce
que vous êtes en mesure de formuler des pensées. En réalité, vous n’existez
pas.
-Pardon… ?
-Je
n’existe pas non plus. Toute
cette scène n’est pas réelle. Nous ne sommes que des idées incarnées: des
personnages fictifs. C’est
difficile d’accepter que tout ceci se passe dans la tête d’une personne. Vous
ne voulez pas plutôt savoir qui vous êtes ?
-Je suis payée pour t'écouter.
-Vous êtes la pâleur sur les visages qui voient leur mort, le tremblement de la main qui serre la réalité, la goutte sur le front qui porte la vérité et l'affaiblissement des genoux qui ont soulevé l'iniquité sociale. Vous incarnez l'idée la plus farfelue et pourtant vous êtes l'arme autodestructrice humaine la plus active: La peur.
-Ah, j'ai bien peur que la session soit terminée pour aujourd'hui. Nous résumerons la semaine prochaine en présence de tes tuteurs.
-Certes...en attendant, je ne peux être que la pensée immature qui raisonne la peur 1 heure par semaine.
-Je suis payée pour t'écouter.
-Vous êtes la pâleur sur les visages qui voient leur mort, le tremblement de la main qui serre la réalité, la goutte sur le front qui porte la vérité et l'affaiblissement des genoux qui ont soulevé l'iniquité sociale. Vous incarnez l'idée la plus farfelue et pourtant vous êtes l'arme autodestructrice humaine la plus active: La peur.
-Ah, j'ai bien peur que la session soit terminée pour aujourd'hui. Nous résumerons la semaine prochaine en présence de tes tuteurs.
-Certes...en attendant, je ne peux être que la pensée immature qui raisonne la peur 1 heure par semaine.
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