Je regarde mes années se consumer comme un pyromane ensorcelé
par les flammes de son crime. Je pensais que mon état en transe n’était que
transitoire, mais il s’étiole à chacun de mes souffles. Je me suis prise à mon
propre piège; je deviens ce que j’avais toujours méprisé car je me suis figée
dans l’inertie de mon inaptitude à exister.
Bien sûr j’ai blâmé le monde entier, la vie même,
avant d’accepter mes responsabilités.
Je Lui en ai voulu parce que je sentais qu’Il m’avait
injustement imposé les embuches que les autres ne vivaient pas. Je me sentais
piégée par la différence dont Il m’avait doté et Son indifférence à mes prières
révoquait ma foi ignorante. Alors, j’ai essayé d’apprendre et de comprendre
pour croire à ce qui dépassait mon entendement. Je voulais une place où mon existence
ne serait pas un fardeau et où elle pourrait être utile à quiconque en réalité.
Trop imbue de moi-même je n’avais pas remarqué tous les rôles qu’Il m’avait proposés.
Dans ma révolte
théologique je sentais que mon prénom était trop lourd à porter et je renvoyais
donc ma faiblesse sur la doctrine de mes parents. Dieu seul sait oh combien je
leur en ai voulu de m’avoir mis au monde. Comme si les disgracier de façon
infantile pouvait changer leurs efforts à supporter l’enfant ingrate qui se
refuse encore à accepter l’amour inconditionnel d’un parent. Je détestais mon
prénom et encore aujourd’hui, ils le prononcent avec l’embarras d’un échec. Pourtant, il existait un temps où je voulais
voir leurs yeux briller de fierté. Peut-être que si je ne m’étais pas tant
préoccuper à vouloir être ce que jamais je ne pouvais devenir, je n’aurais pas failli
à mon rôle. Si seulement je m’étais contentée d’être simplement leur fille.
L’autre jour, je me suis arrêtée sur une photo qui
avait attiré mon attention sur la plateforme interactive : tiens, je me
suis dit, il te ressemble. Quelques secondes passées et je me rendais compte
que j’avais à peine reconnu le visage qui a partagé les souvenirs de mon enfance. Pourquoi est-ce que je regarde toujours les personnes les plus influentes
dans ma vie de loin? Justement parce que je ne voulais plus me permettre de
régler mes actions selon les leurs. Parce que je me sens toujours responsable
de leurs erreurs, de leur tristesse, de leur malheur. Parce que dès qu’il y’ a
un problème, j’accoure comme une mère ours. Et si depuis le début je n’avais
essayé d’être qu’une sœur plutôt que de jouer à la mère, je n’apprendrais pas
sur Facebook que mon frère a rejoint un tel club uniquement pace qu’une
connaissance qu’on a en commun commente sa photo.
Souvent les gens s’arrêtent à ma différence ethnique
et la première chose que l’on me demande lorsqu’on me rencontre : mais
toi, d’où tu viens? Au début, j’ai cru que c’était les vêtements; alors je
suppliais ma mère d’arrêter de m’acheter ses désirs et de m’offrir le camouflage
que, moi, je voulais. Ensuite, tout à coup, mon accent semblait provoquer les
ricanements et les chuchotements de la période pré-pubaire alors de tout mon
possible j’essayais d’utiliser des expressions qui me semblaient, au premier
abord, étranges mais qui, je le constatais,
commençaient rapidement à changer ma phonation. C’est le jeu du pari; tu penses :
la prochaine sera la bonne mais un jour tu n’as plus rien à parier et seulement
là tu te rends compte que tu as tout perdu en vain. Alors, est-ce que je vais
parler d’amitié lorsque les personnes auxquelles j’essayais de m’accrocher
voulaient que je me conforme à leur image? Si j’étais restée fidèle à moi-même
est-ce que j’aurais pu rencontrer des gens qui voudraient me parler? Jusqu’à
présent les gens ne comprennent pas pourquoi je suis si taciturne après tout je
leur semble super sympa une fois que je leur parle. Eux, ils ne savent pas que
j’ai pris pour habitude de me conformer naturellement à n’importe quelle
personne. En fait, je m’entends avec tout le monde mais en même temps avec
personne.
J’aurais aimé blâmer tout sur le fait d’avoir été
déracinée à deux reprises, mais à l’origine je me faisais déjà mettre à l’écart
alors que j’étais sur la terre de mes ancêtres.
Un jour j’ai compris que ce qui bloquait mes relations
interpersonnelles ce n’était, non pas ma différence ethnique, mais plutôt ma
vision des choses et mon statut psychologique. Je ne pouvais le comprendre qu’à
mon contact avec le sexe opposé aussi, mon long périple sur la quête du ‘deviens
ce que tu es’ ne pouvais que commencer. Je pensais qu’il me suffisait d’être moi-même
pour pouvoir aimer. J’avais cette illusion; chaque fois que je me dévoilais, je
pensais que j’étais en train de vivre l’Histoire
d’amour de ma vie. Quand est-ce que je me suis rendue compte que je me foutais
de moi-même? Presque aussitôt. Mais je pensais être une romantique, je pensais
être amoureuse de l’idée d’Amour et que si je persévérais, comme je le fais
toujours, ça arriverait réellement. Mais j’étais vicieuse, plus je voyais que
je n’aimais pas une personne, plus je m’accrochais à elle et plus
cette personne me montrait de l’affection et plus je comprenais mon jeu et plus
je m’haïssais. Plus je me méprisais et moins j’aimais recevoir l’amour des
autres. Est-ce que je me sens désolée d’avoir trompé mes partenaires? C’est un
jeu ne se joue pas en solo et je n’ai pas eu de relation qui impliquait des
gens innocents ou stupides. Si j’ai été psychologiquement instable durant ces périodes
de ma vie, personne n’a jamais cherché à comprendre pourquoi, aussi je ne
ressens presque pas de regrets. Seulement, j’aurais voulu, au moins une fois,
être la petite amie réconfortante décrite dans les romans au lieu de la psychopathe
en mal existentiel.
Je ne sais pas
recevoir l’affection des humains et ne sais encore moins comment les aimer
alors Pardonne moi de ne pas avoir répondu à Tes appels.
J’ai toujours pensé que j’étais plutôt malchanceuse,
et j’étais en colère contre le monde entier, contre la vie, contre moi-même. Je
n’ai jamais cherché à soigner mes plaies et trouvant confort dans la douleur de
leur infection, comme le mutilé dans ses coupures, je me sentais à la fois
vivante et malade. Je me voyais éclatée et éparpillée et me reflétais dans
chaque fragment comme dans les morceaux d’un miroir brisé. Il a été particulièrement
difficile de me trouver au milieu des multiples personnalités développées et je me demande
encore si je me suis entièrement rassemblée.
Deux décennies et demie plus tard, je pense enfin comprendre le
poids de mes responsabilités. Il m’a toujours été facile de condamner les
autres parce qu’ils ne disaient pas les bonnes paroles, ils n’agissaient pas
selon la moralité conventionnelle, ils étaient méprisants, despotiques et
faibles. D’une certaine façon, j’ai toujours poussé les gens à agir de cette
manière avec moi. Parce que j’étais une victime coupable. Coupable de ne pas m’être
exprimée clairement, de ne pas m’être exposée telle que j’étais réellement, d’avoir
rigolé quand j’aurais dû crier, d’avoir feins l’ignorance pour mieux m’intégrer,
d’avoir méprisée silencieusement leurs actions, de n’avoir jamais discuté ce
que je pensais, de ne jamais avoir encouragé les gens à changer, de ne pas
avoir changé moi-même.
Parce que j'ai trop souvent jonglé avec la possibilité d'être mise en scène ou être la scène même.
Alors le plus grand rôle qui m’a jamais été donné et ce depuis ma naissance mais dont je suis
toujours incertaine sur la façon de l’incarner : moi.
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