lundi 16 avril 2018

Un dimanche


Picasso's painting Guernica (Source de la photo)


L’isolement peut être l’achèvement d’une liberté insolite.


Le minimum de contact humain renforce une ‘auto-obsession’ prodigieuse et cela anéantie, généralement, l’intérêt pour les autres. Toutefois, il arrive qu’on veuille percevoir la façon dont le monde tourne sans nous. Loin de me douter des effets répréhensibles, j’ai décidé de prendre une marche en dehors de mon hécatombe personnelle, en ce nuageux dimanche. Les individus hasardeux passent sans que ni eux ni moi n’en soient vraiment conscients. Les humains sont probablement les seuls animaux de la même espèce qui s’ignorent alors qu’ils sont à promiscuité réduite. Ce qui me fait penser que la vraie séquestration, c’est de ne pas se voir dans le regard d’autrui dans une salle bondée.

Mon errance sans but commençait à m’ennuyer, quand tout à coup, j’aperçu, ou plutôt entendu, un braillement si fort que mes oreilles bourdonnèrent. Ma face, qui était parallèle au ciment durant tout ce temps, se leva si brusquement qu’une douleur sourde s’estompa le long de ma colonne vertébrale. Décidément, mon esprit excité par une quelconque péripétie ne s’accordait vraiment pas avec mon corps apathique, qui prit une éternité à repérer la source du son. Les pleurs provenaient d’une dame très âgée qui se précipitait, je ne sais où, en s’appuyant sur une marchette. Maintenant que j’y pense, la mise en scène était plutôt comique. Cependant, au moment de l’action, j’étais trop ébahie pour voir la comédie de la scène et je commençais déjà à réviser dans ma tête ce que je devais dire en bonne citoyenne : "Are you okay? Can I help you? Do you want me to call someone?". Pendant que les mots tournaient dans mon esprit, je ne pouvais m’empêcher de la fixer… Plus elle braillait et plus un visage d’enfant se dessinait sur sa figure : rouge, grimaçant et surtout innocent. Je me surpris à me demander : est-ce qu’un adulte a encore la possibilité de pleurer à cœur ouvert comme un enfant ? Ma bienveillance forgée s’estompa aussitôt et je la laissai me passer sans prononcer un seul mot. Je l’enviais. Peu importe son histoire ou sa raison, je jalousais sa disposition à extérioriser sa peine aussi aisément. L’auto-fixation resurgit malgré tout. Elle disparut de mon champ de vision, emportant avec elle la gloire de l’éveil d’un monstre dormant. Je constatai, en regardant autour, que personne n’avait prêté attention à la scène ou alors ils l’avaient déjà oublié, puisque tous les globes oculaires étaient fixés sur des écrans.

Quelques minutes après l’incident, je décidai de jouer n’importe quelle musique à fond pour étouffer mes élucubrations. Quand tout à coup, un jeune homme à l’allure glauque se posta en face de moi et me regarda droit dans les yeux. Je vis ses lèvres bouger. Le temps que j’enlève mes écouteurs, il avait déjà tourné les talons et déguerpi.
What.The.Fuck.
Encore, je scrutai autour de moi, mais apparemment les individus de nos jours n’ont plus de réactions humaines.

Est-ce que le dimanche est le jour où les dégénérés s’assemblent ?  Pourquoi on ne m’a pas prévenu ? Ma contribution aurait pu être grandiose. Ou alors, c’est que je perds le sens de la réalité faisant donc face à des hallucinations. Difficile à confirmer. Je ne saurai vous dire si c’est le monde ou moi qui est Fucked up, mais en ce dimanche j’ai questionné l’effet de mon ostracisme.

Entre une vieille braillant, un homme aux paroles sourdes et une femme avec un esprit biscornu la seule différence c’est le discernement entre le protagoniste et les figurants d’une histoire qui aurait pu être spectaculaire.


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